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Le Figaro, 2 avril 2004
http://www.lefigaro.fr/cgi/edition/genimprime?cle=20040402.FIG0208
Culture & Spectacles

EXPOSITION «Moi ! Autoportraits du XXe siècle» au Musée du Luxembourg

Les mille facettes des miroirs ardents
Éric Biétry-Rivierre

Un tire la langue (Oldenburg), un deuxième sourit (Picabia), un troisième lit un journal (Fromanger),
tel autre se voit en femme (Kitaj), en Neptune (Van Dongen), avec ses pinceaux (Bonnat),
son vélo (Cragg), son chapeau (Magritte)... La plupart nous fixent, tous tentent de nous interpeller.
Le Musée du Luxembourg n'est pas celui des Offices, Pascal Bonafoux n'a pas le portefeuille
de Leopoldo de'Medici, mais l'écrivain historien d'art à l'université Paris-VIII a eu un dessein
comparable. Celui d'accrocher la plus belle collection d'autoportraits.

Le prince de Toscane en avait réuni 80 de 1664 à sa mort onze ans plus tard. Le commissaire
de l'actuelle exposition du Sénat (1) en propose 152, plus deux sculptures monumentales
installées sur le perron (une de Haring et une d'Alquin). Record battu ? Non puisque les Offices
n'ont cessé de s'enrichir au cours des siècles. Mais qu'importent ces comptes : nous ne parlons pas
de la même chose. Les Médicis épinglaient leurs peintres comme de beaux papillons, trophées tout
à leur gloire. Le Sénat, lui, n'accueille que des artistes-rois, connus ou pas. Ceux du XXe siècle,
époque où l'individualité, l'originalité et la liberté sont désormais les valeurs reines. Où l'autoportrait
est devenu le grand genre quand bien même il ne débouche sur rien.

En témoigne, par exemple, la toile du Bosniaque Safet Zec (Autoportrait volé, 2000).
Un mur a été peint sur lequel un banal miroir est représenté accroché de travers. Celui-ci ne reflète
pas le peintre mais quelques lignes arbitraires de son environnement. Image volontairement ratée
disparition de l'être.
On est loin du trompe-l'oeil espiègle d'un Norman Rockwell réalisé quarante ans plus tôt.
En 1960, lorsqu'il peint son Triple Autoportrait, choisi pour l'affiche, il est plus proche de Vélasquez
et de ses Ménines. Et pourtant il s'agit déjà du même jeu sur le «Je» où la vanité du moi s'exprime
à plus ou moins haute dose, se colore d'ironie (Ensor en 1888 s'imaginant en 1960, soit un
squelette) ou de désespoir (Szafran Autoportrait nu couché).

Une fois ce point commun posé, comment structurer tant de diversité ? «Essayez de faire le point
sur l'identité, vous m'en direz des nouvelles, répond Pascal Bonafoux avec une judicieuse humilité.
A l'intérieur de quelques thèmes, j'invite simplement à aller voir plus loin.»

Les thèmes ? Il est plus approprié, puisqu'il est question de miroirs, de parler de facettes. Les quatre
salles qui forment le parcours en compte six. Avec pour commencer, les enjeux et les contradictions
qu'implique la représentation de soi. Tantôt exhibition, tantôt introspection, tantôt les deux.
«Regardez-moi cela suffit», écrit franchement Ben sur une feuille où, pourtant, on ne le voit pas.
La seconde facette échantillonne quelques masques, caches et leurres révélateurs autant qu'ils
dissimulent. Ce sont, par exemple les clichés d'Alberola au visage placé derrière chacune des
lettres formant le mot «rien». Portraits qui, formant série, deviennent mot, chose.

Une autre séquence abrite quelques travaux où le sujet «baigne» dans son temps, réel ou rêvé,
et son environnement. Elle s'ouvre par I want you for US Army la célèbre affiche de James
Montgomery incitant les jeunes Américains à s'engager en 1917. L'Oncle Sam, c'est lui.
Le comble c'est que lui-même est réformé ! On le constate ailleurs également, se regarder peut
générer le rire. L'humour naît, il est vrai, comme l'autoportrait, de la mise à distance.

Voire de la mise en abîme. Et il est là cet abîme, dans la grande salle principale où sont accumulés
de façon dense, très dense, des dizaines des regards. Comme aux Offices. Avec, au centre, un
autre moi, le spectateur. Et sa question inquiète : finalement, qui regarde qui ?

Elle se fait taraudante dans les deux séquences finales. Celle de l'apparition du corps sexué et
celle relative du temps. On doit le premier autoportrait d'une femme nue de l'histoire de la peinture
– un crayon et gouache sur papier – à Gwen John qui fut l'un des modèles de Rodin. Gwen John
était mignonne et pudique mais bien vite un Schiele s'exhibe, obscène ; un Brian Bourke coiffé
d'un chapeau bleu se livre, pitoyable ; et une Alice Neel nous inflige sa chair flasque, son poids et
sa vieillesse. Car le temps qui s'écoule est le même pour tous. Le seul avantage pour les artistes
est qu'entre deux autoportraits exécutés à plusieurs années de distance, par un Bogart ou un
Tapiès par exemple, on mesure l'aventure que fut leur recherche. Celle-là transcende la mort.

(1) «Moi ! Autoportraits du XXe siècle», jusqu'au 25 juillet. 19, rue de Vaugirard, Paris (VIe).
Plein tarif : 9 €. Tél. : 01.42.34.25.95. www. museeduluxembourg.fr
Catalogue sous la direction de Pascal Bonafoux édité par Skira, 39 €.